Bienveilleurs : au travail, ils veillent au bien-être de leurs collègues

Le thème du bien-être au travail occupant une place de choix dans ma vie de praticienne et fort logiquement aussi dans le propos de la présente rubrique, une note personnelle me semble de mise en introduction à cet article. Je revendique en effet, à l’instar d’autres acteurs en ce domaine, d’être du nombre de ceux pour qui le concept de bien-être au travail revêt une importance capitale. Je le fais sans prétention aucune puisque je ne suis pas impliquée dans les processus de décision concernant la gestion du personnel dans le milieu où j’exerce le plus gros de mon activité. Je ne fais partie ni des cadres dirigeants, ni même de ce que d’aucuns appelleraient les salariés haut placés.

L’étrange paradoxe du bien-être au travail

Reconnaître l’utilité de faire entrer la notion de bien-être au travail dans la culture d’entreprise et pas uniquement dans l’esprit des dirigeants, est-ce faire implicitement l’aveu que l’unité dans laquelle on travaille ou fait travailler d’autres personnes est en elle-même une source de mal-être ? Pas nécessairement, bien entendu, et pourtant ma jeune expérience en matière d’interventions dans diverses entreprises pour des prestations de massage Amma assis rend légitime le fait de se poser cette question. En effet, ces quelques années de recul m’ont permis de faire le constat d’un étonnant paradoxe: dans une immense majorité de cas, les lieux de travail où j’ai été sollicitée pour pratiquer le massage Amma assis ont été des entreprises dans lesquelles des espaces de bien-être faisaient déjà partie du décor et où le personnel, à en juger par les conversations entendues ici ou là, ne semblaient pas vraiment guetté par le stress professionnel et ses effets néfastes. Pourtant, jamais autant qu’à notre époque, on n’a entendu parler à longueur d’articles sur le Web, de tweets et autres lettres d’information sur la santé, de phénomènes tel que l’épuisement au travail (burn-out), le culte de la performance à tout prix, la pression de la concurrence non seulement entre sociétés mais aussi à l’intérieur même d’une entreprise, entre les employés de celle-ci, notamment à l’approche d’une restructuration ou d’un plan social risquant d’entraîner des licenciements économiques par exemple. La logique de cette observation tient dans un processus semblable à celui de l’œuf et de la poule: est-ce parce que les dirigeants des endroits où l’on a fait appel à moi ont compris depuis longtemps qu’offrir à leurs employés des paliers de décompression était le moyen le plus efficace d’assurer le bon fonctionnement général de l’entreprise, que les dirigeants dont les agents vont globalement bien ont plus volontiers recours à des praticiens extérieurs à leurs locaux? Ou à l’inverse, est-ce justement parce que des intervenants en bien-être au travail y viennent régulièrement proposer des pauses de relaxation, que le personnel de ces sociétés s’y porte généralement mieux qu’ailleurs? Mis à part dans un cas où une bulle de bien-être a été installée pour remédier aux méfaits psychologique de l’imminence d’un changement de locaux, j’ai prodigué des massages, jusqu’à présent, à des gens dont l’équilibre émotionnel semblait plutôt satisfaisant. Faut-il en déduire qu’on a moins tendance à faire appel aux praticiens de bien-être en milieu professionnel là où d’aucuns pourraient considérer qu’on en a le plus besoin, c’est-à-dire là où précisément la productivité est freinée par des conditions de travail génératrices de stress? Si tel était le cas, il serait intéressant de procéder à une étude sociologique qui permettrait d’en dégager les causes. Culpabilité inavouée d’un dirigeant pour qui faire appel à un professionnel du bien-être au travail, ce serait confesser que son comportement ou ses choix le rendent au moins partiellement responsable du mal-être de ses employés, alors que pris lui-même dans le cercle vicieux de la pression exercée par la concurrence, il considère que le temps de travail de son personnel doit être rentabilisé à son maximum ou encore que les moyens financiers de son entreprise ne lui permettent pas d’investir dans l’intervention d’un praticien en bien-être… alors même que la mise en place de pauses relaxantes permettrait précisément à chacun, à commencer par le chef d’entreprise lui-même, de donner son plein potentiel, augmentant significativement la productivité! Ainsi, accroître le bien-être au travail serait vue par les dirigeants comme une solution vertueuse où tout le monde gagne, et non comme une manière de se donner bonne conscience en faisant croire à ses salariés que si certes la pression sociale les malmène trop souvent, on s’intéresse à eux quand même…

Ce paradoxe du bien-être au travail fait cependant apparaître une réalité beaucoup plus complexe qui n’est pas le fait des seuls cadres dirigeants mais aussi des salariés eux-mêmes. Au XXIe siècle, il reste du chemin à parcourir pour faire entrer dans les mœurs l’idée que l’on peut distinguer durée de présence responsable et travail effectif, ce qui autorise à utiliser une fraction du temps passé dans l’entreprise pour simplement se faire du bien!

La première fois que j’ai proposé à l’une des responsables de service d’instaurer la pratique du massage Amma assis au sein de notre unité en général et de mon bureau en particulier, je me suis d’abord entendu dire qu’une telle offre ne prendrait pas auprès des salariés parce que le concept même d’un espace de massage au cours de la pause méridienne ne faisait pas partie de la culture d’entreprise. Il est vrai que mon lieu de travail est un environnement où prédominent la cérébralité et l’esprit scientifique, un milieu où il n’était guère de mise d’envisager que l’on puisse avoir besoin de s’offrir, au milieu de la journée, des minutes consacrées uniquement à la détente, où l’on viendrait frapper à la porte d’un bureau avec comme unique but celui de passer quelques instants à se faire chouchouter, pour dire les choses comme elles semblaient se présenter à ce moment-là. C’est grâce à une association née dans l’enceinte même des locaux, proposant diverses activités sportives ou récréatives, que j’ai pu instaurer, progressivement, la pratique du massage Amma assis dans mon propre bureau. Après une période de relatif succès dans les débuts, le taux de fréquentation de cette bulle de bien-être s’est quelque peu tassé, à mon sentiment sous l’effet de deux facteurs: le premier me semble être la réticence d’une partie de la gent masculine à l’idée de venir chercher un moment de détente, et a fortiori un massage, auprès d’une femme; le second, qui touche hommes et femmes confondus, a trait à une sorte de culture de la culpabilité à accepter de prendre un moment rien que pour soi alors qu’on est venu pour travailler, et qui plus est, pour exercer une profession évoluant beaucoup plus résolument dans la sphère intellectuelle que dans celle des émotions et du psychisme.

C’est dans ce contexte que m’est venue à l’esprit l’invention, totalement intuitive, d’un massage de la nuque et des épaules qu’à la différence du Amma assis, je propose à mes collègues à n’importe quel moment de la journée. Cette forme de massage à visée purement relaxante et sans aucun rapport avec la masso-kinésithérapie, laquelle relève de la prescription médicale comme chacun le sait, est pourtant bien apprécié des quelques personnes à qui l’on recommande: « Va donc voir Anne! » lorsqu’elles arrivent au bureau avec un torticolis ou une raideur articulaire dans les épaules. Je pense plus particulièrement au témoignage d’un homme qui, en l’occurrence, se souvient d’avoir été « décoincé » un matin grâce à ce massage intuitif de bien-être.

Il n’en reste pas moins que mon bureau transformé en espace de massage Amma assis demeure assidûment fréquenté par un « noyau dur » de candidats réguliers au bien-être dont les retours d’expérience concordent pour dire que ceux qui, sous divers prétextes dont ceux évoqués plus haut, résistent encore à venir, ne savent pas ce qu’ils perdent !

Dans ma bulle de bien-être au travail: Anne masse Valérie

Anne masse Valérie

L’article que vous pourrez lire plus bas ne traite pas tout à fait du même sujet mais je crois pouvoir me prévaloir, à mon modeste niveau d’employée de bureau, d’être parvenue à imposer l’existence d’un réel espace de bien-être, également propre à l’écoute bienveillante et à la confidence, au sein d’une entreprise où ce n’était pas chose acquise d’avance compte tenu du fait que le mental y joue habituellement un rôle de premier plan. Je n’ai guère l’habitude de chercher à savoir si l’herbe est plus verte chez le voisin, mais je vous propose de faire un détour par la Belgique Pour aller plus loin, je vous invite à regarder ce reportage diffusé dans le cadre de l’émission Envoyé Spécial sur France 2

Bien-être au travail: comment les « Bienveilleurs » veillent sur leurs collègues

Ce sont des « Bienveilleurs ». Des salariés qui refusent de limiter les relations professionnelles à un simple « bonjour-au-revoir », comme y invitent trop souvent le stress et l’individualisme qui peuvent régner au bureau. Face à ce phénomène, les « Bienveilleurs » sont persuadés que prendre soin de ses collègues constitue une promesse de bien-être généralisé au travail.

Propos recueillis par Lucien Fauvernier

Et si nous ne laissions plus nos émotions à la porte du bureau ? Depuis une quinzaine d’années, les chercheurs du très sérieux Compassion Lab de l’université du Michigan aux Etats-Unis, s’interrogent sur l’intérêt d’agir avec empathie envers ses collègues. Leurs recherches ont permis de mettre en lumière un type de salariés particulièrement bienveillants, appelés « toxic handlers » outre-Atlantique. En France, Gilles Teneau, chercheur et responsable du Centre de recherches en résilience organisationnelle (CIRERO), est l’un des premiers à s’être penché sur le profil de ces employés pas tout à fait comme les autres. Généralement managers ou cadres intermédiaires, ils sont particulièrement à l’écoute des inquiétudes et angoisses de leurs collègues. Un comportement qui caractérise ces salariés comme des « catalyseurs de souffrance », selon Gilles Teneau. Agir avec empathie, sans intérêt ni jeu de pouvoir, leur permettrait d’apporter dans certains cas de réelles solutions aux problèmes des membres de leur équipe. Résultat de cette bienveillance dans les relations professionnelles: un véritable gain en bien-être pour chacun et une meilleure cohésion au sein de l’entreprise.

Comment les « Bienveilleurs » souhaitent-ils développer la bienveillance au travail ?

Véronique Olivier : La plupart des salariés pensent que la question du bien-être au travail n’est pas vraiment de leur ressort. En réalité, nous sommes les premiers responsables de notre harmonie et bien-être professionnels. Faire preuve de plus de bienveillance se traduit par des actions concrètes : prendre du temps pour l’autre, échanger dans une confiance mutuelle. Parfois, le simple fait de se savoir libre de poser une question à un collègue peut libérer d’un stress insupportable. Autre initiative par exemple, celle de l’ange-gardien. Il s’agit de choisir un collègue en particulier auquel on prêtera attention, pour qui l’on peut se rendre disponible et devenir un référent au sein de l’entreprise. Ces pratiques apportent du bien-être à tous les niveaux, autant à celui qui fait preuve de bienveillance et d’empathie, qu’à celui qui peut trouver une oreille à l’écoute et un soutien moral. 

Dans son ouvrage Empathie et compassion en entreprise (ed. ISTE, 2014) Gilles Teneau détaille les trois types de « catalyseur de souffrance ». Le porteur de confiance repère les angoisses de ses collègues et fournit une écoute ; le porteur de souffrance témoigne d’une réelle empathie envers l’autre, quitte à se mettre en danger en supportant seul des situations difficiles ; le porteur de compassion a le talent de transformer les problèmes individuels en expérience positive. 

Peut-on tous devenir « Bienveilleur » ?

Véronique Olivier : Tout le monde peut être bienveillant, mais encore faut-il le vouloir. Les salariés les plus intéressés par notre initiative travaillent en entreprise mais ne trouvent pas de soutien, de relation au sens fort du terme. Il y a aussi le cas de certaines professions libérales, professeurs ou avocats par exemple, qui peuvent travailler en collectif mais échappent aux ressources humaines et n’ont souvent personne pour les soutenir, ni les écouter. Si aucune vigilance n’est exercée sur le bien-être de ces travailleurs, il est essentiel qu’ils deviennent acteurs de leur propre équilibre, mais contribuent également, par un lien de cause à effet, à celui des autres.

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