Comment l’esprit soigne le corps
Par
Estelle Saget
publié le 27/09/2014 à 09:59, mis à jour le 08/10/2014 à 16:18
Depuis longtemps, la médecine s’intéresse aux méfaits du stress pour la santé. Des découvertes récentes montrent qu’à l’inverse le mental peut avoir un
effet bénéfique sur toutes sortes de pathologies. Grâce à la brèche ouverte par les neurosciences, les chercheurs mesurent toujours mieux le pouvoir et
les ressources de nos émotions. Etat d’un chantier prometteur.
Les émotions positives siègeant dans le cerveau influent directement sur l’organisme et permettent d’éviter certaines maladies.
REUTERS/Bobby Yip
Que le corps guérisse l’esprit, nul ne peut plus en douter. Les adeptes du yoga et du tai-chi le savent bien, qui retrouvent, par l’enchaînement de mouvements calculés, le calme et la sérénité intérieure. Mais que l’esprit, à son tour, guérisse le corps, pourrait sembler moins évident. Et pourtant… Les preuves en ce sens ne cessent de s’accumuler grâce, notamment, aux dernières
découvertes en neurosciences.
Les pensées et les émotions qui siègent dans le cerveau ont en effet une influence sur la santé, comme le montrent un nombre croissant d’études. Elles
peuvent entraîner des pathologies graves telles que l’infarctus, l’accident vasculaire cérébral (AVC), les maladies auto-immunes, voire le
cancer.
Mais – et c’est la bonne nouvelle -, elles permettent aussi d’éviter la maladie. Autrement dit, le mental, quand ses ressources sont bien utilisées, est
capable de voler au secours du corps.
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Prenons l’effet placebo, dont la réalité n’est plus à démontrer. Lorsqu’un médecin donne à son patient sans l’en avertir un faux médicament, une pilule de sucre sans principe actif, il obtient un effet thérapeutique réel, variable selon les individus. Même une consultation avec un spécialiste sans aucune prescription peut, selon des travaux récents, alléger la douleur, améliorer le sommeil, soulager la dépression et diminuer les symptômes dans bon nombre de pathologies, dont le syndrome
du côlon irritable, l’asthme, la maladie de Parkinson,
les troubles cardiaques et la migraine.
Plusieurs expériences ont montré que la présence et l’attitude du médecin modifient les réactions émotionnelles du patient, lequel ressort du cabinet moins
anxieux et plus optimiste. Mieux, les chercheurs se sont aperçus que des indices et des symboles perçus de manière inconsciente, comme la blouse blanche
ou le diplôme du médecin affiché sur le mur, mettaient le patient dans une disposition mentale propre à lui faire ressentir une amélioration.
Les vertus thérapeutiques de la félicité conjugale
Par quel mécanisme obtient-on ainsi un effet sur la sévérité de la maladie ? Il semble que le cerveau, après traitement par placebo, fabrique lui-même
les substances actives, à l’exemple des opioïdes, qui réduisent la douleur, comme le ferait une piqûre de morphine. Une véritable usine à gaz, loin d’avoir
livré tous ses secrets.
Phénomène tout aussi intriguant, les gens mariés ont moins de risques de développer une pneumonie, de subir une opération chirurgicale, de développer un
cancer, de subir un infarctus ou de souffrir de démence. Ce fait établi a donné lieu à de nouvelles recherches, qui ont permis d’affiner le tableau. En
étudiant plus précisément la qualité des relations conjugales, les scientifiques ont découvert que l’effet protecteur du mariage disparaissait en cas de
disputes fréquentes dans le couple.
Les personnes « mal » mariées se révèlent même en plus mauvaise santé que celles restées célibataires ! Des expériences menées aux Etats-Unis montrent notamment
qu’au sein des couples qui se déchirent les défenses immunitaires des intéressés s’affaiblissent et les coupures sur la peau mettent plus de temps à cicatriser.
C’est donc la félicité conjugale, et non la vie commune en elle-même, qui serait bénéfique pour la santé.
L’explication ? L’écoute, les gestes, le soutien d’un conjoint réconfortant permettent une meilleure régulation des émotions négatives, dont les effets
délétères sur l’organisme sont désormais prouvés. La colère est un exemple. Dans les deux heures qui suivent un emportement, le risque pour un individu
de souffrir d’un infarctus est multiplié par cinq et celui de souffrir d’un AVC par trois, selon la méta-analyse (une synthèse des résultats de toutes
les études publiées dans le monde sur le sujet) effectuée par une équipe américaine et parue le 4 mars dans la revue European Heart Journal. Ce risque
reste faible en valeur absolue, mais il constitue une menace réelle pour les personnes connaissant des accès de colère récurrents.
Les voies qu’emprunte l’esprit pour parler au corps sont de moins en moins impénétrables. De nouvelles disciplines ont aussi émergé, croisant plusieurs
spécialités et portant, de ce fait, des noms à rallonge. La psychoneuroimmunologie associe la psychologie, la neurobiologie et l’immunologie (l’étude de
notre système de défense contre les microbes). Elle vise à comprendre la manière dont le psychisme influe sur l’organisme. Même finalité pour la psychoneuro
– endocrinologie, qui implique l’endocrinologie (la science des hormones).
Les défenses immunitaires amoindries par le stress psychologique
La neuropsychanalyse, elle, se propose d’explorer les convergences possibles entre les neurosciences et la psychanalyse. En jeu, à chaque fois : le rôle
du stress psychologique, qu’il provienne du travail, des relations conjugales ou familiales, ou encore d’événements traumatisants tels qu’un deuil. Confronté
à l’adversité sur une trop longue période, l’individu voit se réduire ses défenses immunitaires et subit des phénomènes chroniques d’inflammation tandis
que, à l’échelle des cellules, l’usure de ses chromosomes s’accélère.
Face au danger, notre organisme, depuis les origines de l’homme, se prépare instantanément à l’action – le combat, ou la fuite – en produisant des hormones
qui dilatent les bronches, accélèrent le coeur et le rythme de la respiration. Si le danger s’évanouit, le métabolisme revient à la normale. Mais si la
situation stressante perdure, ce bain d’hormones finit par devenir nocif.
C’est ce qu’explique de manière très didactique la pédiatre Catherine Gueguen dans le livre Pour une enfance heureuse, repenser l’éducation à la lumière
des dernières découvertes sur le cerveau, qu’elle vient de publier aux Editions Robert Laffont. « La sécrétion prolongée de cortisol [l’une des hormones
du stress] peut modifier le métabolisme et l’immunité de l’organisme, entraîner le développement de maladies chroniques et de maladies auto-immunes (diabète,
sclérose en plaques, polyarthrite rhumatoïde) », écrit-elle, citant une recherche publiée en 2013.
Cultiver des relations de qualité avec ses proches
A l’inverse, d’autres hormones se révèlent bénéfiques pour la santé, comme l’ocytocine, un puissant anxiolytique. « Elle est sécrétée lors de toute stimulation
sensorielle douce : les mots doux, la tétée [pour le bébé], le contact tendre, les caresses, les baisers, l’orgasme, mais aussi le simple contact avec
l’eau chaude », note le médecin. L’ocytocine est aussi libérée, en dehors de tout contact physique, lorsqu’on entretient une relation agréable avec autrui.
« Toute interaction harmonieuse, une ambiance chaleureuse, une conversation agréable, un plaisir partagé provoquent la sécrétion d’ocytocine, poursuit-elle.
Même un simple échange de regards, s’il est bienveillant, et même la seule évocation des êtres que nous aimons. » Par quel biais ? « La libération d’ocytocine
met en route l’activité parasympathique [ralentissement automatique des fonctions de l’organisme destiné à économiser l’énergie] avec tous ses effets physiologiques
: la tension artérielle baisse, l’organisme passe de l’excitation musculaire prête à l’action provoquée par le stress à un régime réparateur où l’énergie
sert au stockage des nutriments et à la croissance. L’activation du système nerveux parasympathique élève également le seuil de la douleur, nous rendant
moins sensibles aux inconforts. Il renforce l’immunité, aide au transit intestinal et favorise la cicatrisation. »
Pour profiter à plein des effets de l’ocytocine, mais aussi des endorphines et de la sérotonine, toutes ces molécules du bien-être, un seul mot d’ordre
: cultiver des relations de qualité avec ses proches. Car la libération de ces substances est conditionnée à la tonalité des échanges, à l’ambiance dans
laquelle on évolue et aux contacts physiques que l’on établit avec les autres. On peut d’ailleurs améliorer ses relations affectives en suivant une psychothérapie
de couple ou individuelle. Quant aux méfaits du stress, on les combat efficacement en utilisant des techniques qui ont fait leurs preuves telles l’hypnose,
la
relaxation,
la sophrologie, la cohérence cardiaque et la
méditation.
Dans le yoga, discipline millénaire, corps et esprit sont intimement liés.
Reuters/Zainal Abd Halim
On ne cesse, d’ailleurs, de découvrir de nouvelles vertus à cette dernière pratique, millénaire et d’inspiration bouddhiste (voir L’Express no 3289). Entre
1970 et 2010, le nombre d’études scientifiques sur cette activité est passé de moins de 10 par an à près de 300, selon les données citées dans L’Esprit
est son propre médecin (de Jon Kabat-Zinn et Richard Davidson, éditions Les Arènes). Les chercheurs ont notamment enregistré des résultats probants dans
la dépression, l’addiction, les déficits de l’attention et la douleur. Leurs travaux se font désormais de plus en plus pointus.
Rééduquer son cerveau en pratiquant des exercices appropriés?
Certains vont jusqu’à comparer différentes variantes de la méditation bouddhiste tibétaine. Le yoga de la déité, par exemple, consiste à visualiser une
image complexe et multicolore en trois dimensions représentant une divinité tibétaine. Dans la méditation ouverte, le méditant entretient une attention
également répartie et non dirigée vers un objet ou une expérience particuliers. « Avec la première technique, les sujets montrent une plus grande amélioration
de leurs facultés mentales sur une tâche de rotation mentale et sur une tâche de mémoire visuelle », indiquent Jon Kabat-Zinn et Richard Davidson.
Autre solution pour mieux affronter une situation difficile et préserver ainsi son organisme d’un stress trop intense : chercher davantage de soutien social.
Dans une société plus individualiste que par le passé, on commence seulement à redécouvrir l’importance de l’aide apportée par le réseau des amis ou de
simples connaissances, sur les plans à la fois matériel et mental. De nombreuses études en psychologie de la santé l’attestent. Les plus récentes montrent
d’ailleurs que ce n’est pas tant le nombre de personnes qui compte, que l’intime conviction de pouvoir compter sur elles. Il est physiologiquement bienfaisant
de penser qu’il existe des individus capables de se mobiliser pour nous en cas de besoin et aux yeux desquels nous avons de l’importance.
En somme, des gens qui se soucient de nous. Les relations sociales existantes constituent des ressources clefs, mais on peut également en cultiver de nouvelles.
On sous-estime à quel point l’appartenance à une communauté, un club sportif, un syndicat, une association, contribue au bien-être.
Et demain ? L’être humain pourra peut-être rééduquer son cerveau en se livrant à des exercices appropriés, comme il rééduque déjà son dos ou son genou
par des séances de kinésithérapie. Parmi les techniques encore au stade expérimental, la plus en vogue est sans doute le neurofeedback. Dans cette forme
de « coaching » de l’organe de la pensée, le patient se concentre sur une idée ou une tâche et visionne en retour sur un écran son activité cérébrale. Il
peut ainsi s’entraîner à la normaliser, en orientant sa réflexion sur le sujet qui diminue ou augmente le plus les signaux électriques envoyés par les
neurones, selon l’effet recherché. Les scientifiques utilisent ce principe pour lutter contre les insomnies, l’hyperactivité, l’épilepsie, la maladie de
Parkinson et la dépression. Plus ludique, la réalité virtuelle semble en passe de tenir ses promesses.
Une équipe suédoise vient de réaliser une expérience spectaculaire, relatée dans la revue Frontiers in Neuroscience. Les chercheurs ont « fabriqué », sur
l’écran de l’ordinateur, une prothèse virtuelle qui vient prolonger le bras d’un homme amputé. En leurrant son cerveau grâce à cette image, ils ont réussi
à le soulager de la douleur dite « du membre fantôme », que les mutilés ressentent comme siégeant dans leur bras ou leur jambe perdue. Une nouvelle démonstration
des puissants pouvoirs de l’esprit.
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